Lymphome et Sida
IT N°15 - JUILLET 1994
Lymphomes et Sida
BEING ALIVE - publié le 1er janvier 1996 • par ,
Depuis l’apparition du sida, la fréquence des lymphomes continue à augmenter. Nous présentons ici un résumé de l’exposé du Dr Levine, responsable du service d’hématologie à l’USC (Californie) et spécialiste de l’étude et des traitements des lymphomes. Ses travaux précoces et continus sur les lymphomes liés au sida ont nettement amélioré la compréhension de cette infection et des traitements actuels ou potentiels.
Les données de base
Le schéma d’apparitions des affections malignes liées au sida (sarcome de kaposi [1], lymphomes, quelques formes de cancers du système reproducteur et uro-génital) ressemble de près à celui d’autres formes d’immuno-dépressions graves, en particulier celui induit par des médicaments qui peuvent au long cours devenir toxiques. Ces affections peuvent intervenir 30 à 100 fois plus souvent dans le cadre des maladies du système immunitaire [2] que dans la population générale.
Alors que la survenue du SK [3] a beaucoup diminué, le nombre de cas de lymphomes continue d’augmenter. Les lymphomes peuvent être le premier signe d’entrée dans la maladie. Le diagnostic du lymphome intervient toutefois beaucoup plus souvent après une première autre infection opportuniste. Nous voyons proportionnellement plus de cas de lymphomes dans la mesure où la durée de vie est augmentée.
Nous ne savons pas exactement pourquoi. Les estimations sur diverses études varient de 10 % à 40 % et plus durant les trois années qui suivent le déclenchement de la première infection opportuniste
Pourquoi un risque si élevé ?
Nous ne pouvons qu’émettre des hypothèses. Cependant, certains aspects relatifs au sida sont sûrement importants quant à l’origine des lymphomes. Un lymphome est une tumeur des cellules du système lymphatique qui concerne surtout les lymphocytes et les ganglions, les muqueuses et même la peau. Il existe plus de 15 catégories de lymphomes, mais on peut classer les lymphomes liés au sida dans 3 catégories, selon le taux et l’accroissement de la malignité des tumeurs. Les lymphomes liés au sida tendent à être assez agressifs. On parle de lymphome des cellules B parce qu’il tire son origine des lymphocytes B qui, eux, fabriquent les anticorps dans l’organisme ; ils constituent la partie “humorale” du SI. Les cellules T ou lymphocytes T constituent la base “cellulaire” du SI.
La déficience contenue dans le mot sida touche les cellules T, pas les B. Ce qui se produit réellement dans ce syndrome, est la stimulation anormale des cellules B et leur reproduction beaucoup plus rapide que dans des SI en bonne santé. Quoique notre compréhension de ces phénomènes soit limitée, ce surcroît d’activité des cellules B est une bonne chose, dans la mesure où il permet de contenir le VIH pendant plusieurs années. Cependant, cette reproduction accélérée implique que davantage d’erreurs sont commises en recopiant le matériel génétique.
L’une de ces “erreurs génétiques” devient le point de départ d’un lymphome. Par exemple, les gènes d’un chromosome se scindent et fusionnent avec les gènes d’un autre chromosome, ce qui donne une cellule qui a perdu sa connection au système de régulation de la croissance cellulaire. Cette cellule est alors à même de se reproduire de manière autonome et permet l’émergence d’une tumeur. Même si le lymphome se répand dans tout l’organisme, toutes ses cellules sont des répliques identiques à la cellule “immortalisée” lors de l’accident génétique.
Le Epstein Barr virus peut également se répliquer rapidement dans le contexte du sida. Il stimule aussi les cellules B, et est associé aux lymphomes des cellules B, dont il est probablement la cause déclenchante. Toutefois, des données récentes montrent qu’on ne le retrouve pas aussi fréquemment dans les lymphomes liés au sida qu’on le croyait auparavant. Une autre explication possible réside dans la production anormale de cytokines : produit chimique ressemblant à une hormone, sécrétée par les cellules du SI, lors de l’infection à VIH et du sida. Le VIH stimule la surproduction de l’Interleukine 6 (IL-6) qui favorise à la fois la production de cellules B normales et des lymphomes des cellules B. Les lymphomes des cellules B peuvent aussi produire de l’IL-6 eux-même, un peu comme une voiture qui fabriquerait l’essence adaptée à sa consommation. L’IL-10 est aussi produite en quantité importante par les lymphocytes infectés par le VIH et à son tour stimule cellules B et lymphomes.
Lymphomes et système nerveux central (SNC)
Rien n’est plus difficile que de localiser un lymphome. Il se répand partout où l’on trouve des tissus lymphoïdes. On peut découvrir un lymphome aussi bien du lobe de l’oreille à la bouche que dans les poumons, le coeur, la moëlle osseuse ou le cerveau. Comme la plupart des cancers, il existe et se répand longtemps avant qu’on ne s’aperçoive de son existence en surface. Mis à part les tumeurs, il peut se manifester des symptômes similaires à ceux de certaines infections opportunistes et apporter des fièvres, sueurs nocturnes ou perte de poids, mais aussi altération du SNC.
Les lymphomes du SNC se divisent en deux catégories : le lymphome systémique disséminé et le lymphome primaire du SNC. La forme systémique produit des métastases mais ne cause pas de tumeurs développées dans le cerveau même ; cela ressemble plus à des cellules porteuses de lymphomes qui flottent dans le liquide spinal.
Cela peut provoquer les mêmes symptômes que ceux d’une méningite, des douleurs dans les muscles de la face, les mâchoires ou même pas de symptôme du tout. Justement parce qu’il peut être asymptomatique et risquer de s’agraver plus tard, il est important de faire un prélévement de la moëlle dans le but de diagnostiquer la présence éventuelle de lymphomes. Pour autant que l’on diagnostique sa présence dans le SNC et qu’on élabore un traitement approprié, cette catégorie de lymphome peut être traitée avec les mêmes chances de succès que les autres lymphomes.
Malheureusement, on ne peut pas en dire autant des lymphomes primaires du SNC. Ils débutent et se développent dans le cerveau, et représentent, selon une étude, 25% des lymphomes qui affectent le SNC. Cette forme provoque des symptômes graves qui peuvent aussi être graduels, à l’image d’un changement de personnalité. On remarque aussi fréquemment des accès de faiblesse soudaine, ou une paralysie d’un côté, des états confusionnels ou des maux de tête très importants.
Evolution des traitements
Au départ, nous avons entrepris une thérapeutique calquée sur celle des lymphomes non liés au sida, une approche "bombe atomique". L’idée était que si l’on lançait des chimiothérapies à fortes doses sur le lymphome avant qu’il ne s’étende dans l’organisme, on pouvait le détruire dans l’oeuf.Nous nous sommes vite aperçu que c’était une erreur ; on détruisait ainsi la moëlle et par conséquent ce qu’il restait du système immunitaire. 78% des patients ainsi traités ont développé des infections opportunistes et sont morts. Puis nous avons tenté des polychimiothérapies à faibles doses. Nous avons donné la moitié de la dose de chaque produit de chimio : mBACOD ou CHOP, par exemple, et ceci seulement pendant 4 mois au lieu des 10 mois habituels. Les résultats de ce protocole- ACTG 008 - ont été publié en 1990 dans la revue Jama. Ceci a bien mieux fonctionné. On a constaté dans 50 % des cas une rémission complète et pour 90%, ces rémissions ont été durables. De plus, la survenue des infections opportunistes a été de 20 % et la plupart ont pu être traitées.
De tels protocoles de traitement sont devenus la norme, à ce jour. Nous avons amélioré ces traitements en y ajoutant un antirétroviral, le ddC. L’AZT étant trop toxique pour la moëlle en association à une chimio. Les résultats ont montré une rémission complète chez 56% des patients avec une incidence de 10% d’infections opportunistes. Cette amélioration tient compte du fait que nous avons pu compter dans ces rémissions ceux qui avaient un profil de risque plus élevé, c’est-à-dire ceux dont le taux de CD4 était faible, qui avaient préalablement développé une infection opportuniste, ou ceux qui avaient des fonctions physiques nettement affaiblies et/ou ceux qui avaient développé un lymphome de la moëlle.
On attend les résultats d’une autre étude qui évalue l’utilisation des facteurs de croissance -EPO, G-CSF, GM-CSF - associés aux chimio décrites plus haut.
Nouveaux axes de recherche et de traitements à l’étude Comme pour la plupart des cancers, les progrès de la recherche sont lents mais continus. Il s’agit de s’orienter dans deux voies. Il faut accélérer la recherche sur les méthodes de diagnostic des lymphomes primaires du SNC. Il faut aussi parvenir à permettre aux patients porteurs de lymphomes systémiques de pouvoir atteindre des rémissions et d’éviter des rechutes. On peut et on doit utiliser les rayons, qui, s’ils ne prolongent pas la vie des patients, leur permettent d’accéder à une meilleure qualité de vie. Ainsi, des patients se sont réveillés de leur coma et ont pu aussi retrouver l’usage de leurs muscles. Les progrès ont été ralentis à cause de la réticence des chercheurs à étudier et à traiter les lymphomes primaires du SNC. ils pensaient qu’un tel effort aurait été vain. On a connu un pessimisme similaire avant d’avoir mis en place les traitements des lymphomes systémiques, et pourtant, il existe maintenant de réels progrès. Alors n’abandonnons pas. Parmi les nouvelles thérapeutiques prometteuses chez les patients qui ne répondent pas aux chimio classiques, nous en évoquerons deux testés à l’USC. La première est composée de ricine naturelle qui a la propriété d’inhiber dans le gène cet “adaptateur universel”et de le remplacer par un adaptateur issu du génie génétique : l’anticorps monoclonal B-4, qui permettra sélectivement son rattachement aux cellules B touchées par le lymphome. On a aussi démarré une étude d’association de ricine à de faibles doses de chimio, en traitement d’attaque, juste après le diagnotic d’un lymphome. La ricine est administrée par voie IV en continu pendant 2 jours, par cathéter central à l’hôpital, et ensuite on peut aisément l’administrer à domicile par Port-à-cath par cures en traitement d’entretien. Les résultats préliminaires de cette étude sont encourageants. Le second traitement prometteur consiste en une polychimiothérapie (le MGBG) qui avait été abandonné il y a des années car les chercheurs la jugeaient inefficace. Un chercheur du Texas fait une nouvelle tentative. Il pense que ces produits n’avaient pas été utilisés correctement par le passé. Les résultats préliminaires montrent une réponse de 50% au traitement chez des patients qui ne répondaient pas à la chimio standard. Le MGBG a l’avantage de ne pas causer d’altération de la moëlle osseuse, de nausées et de vomissements et de traverser la barrière cervicale.
Pour plus d’informations sur les protocoles américains sur les lymphomes liés au sida, contactez J.J.Anderson à l’USC, Tél : 19.1.213.226.7622.
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