Nanomédicaments et cancer : interview du Professeur
Jean-Pierre Benoît
Un espoir dans la lutte contre le cancer : des nanomédicaments élaborés actuellement au CHU d’Angers seront un jour capables de reconnaitre les cellules cancéreuses à soigner, et de délivrer la molécule active seulement dans les zones où elle est requise. Cela permettra d’éviter les effets secondaires et d’administrer de plus fortes doses de médicament.
Le Professeur Jean-Pierre Benoît du CHU/Université d'Angers et son équipe travaillent actuellement à l'élaboration de ce type de traitement particulièrement petit et efficace.
Comment les nanomédicaments peuvent-ils diminuer les effets secondaires et soigner les cancers ?
Les médicaments classiques se diffusent dans tout le corps y compris dans certains organes ou cellules susceptibles de mal tolérer le principe actif, entrainant alors des effets secondaires (perte de cheveux, fatigue, ulcération des muqueuses buccales et digestives, désordre neurologique,…). En ciblant les cellules cancéreuses, les nanomédicaments évitent cela et agissent plus efficacement.
Pourquoi sont-ils si petits ?
Pour pouvoir pénétrer dans les zones à soigner. En fait, lorsqu’on injecte des nanomédicaments, ils n’ont aucune chance de franchir les parois des vaisseaux qui sont continues. Sauf lorsque l’organisme présente une tumeur ou un tissu enflammé. Les vaisseaux deviennent alors des néo-vaisseaux qui présentent des pores et peuvent être franchis. C’est pour cela que les nanomédicaments font entre 20 et 200 nanomètres, pour diffuser à travers ces pores et atteindre la tumeur. La taille de ces médicaments permet aussi de ne pas bloquer la circulation sanguine et d’éviter des phénomènes de thrombus.
C’est aussi parce qu’ils ne passent qu’à travers ces pores, et que le reste du corps ne reçoit pas de traitement, que les effets secondaires sont limités (sauf dans le cas du foie et de la rate qui sont irrigués par des vaisseaux poreux). Puisque les organes susceptibles de mal réagir au traitement ne sont plus menacés, on peut optimiser le médicament et le charger d’une forte dose de molécule active.
Comment administrer ces traitements ?
Cela peut se faire par voie générale en introduisant le médicament dans la circulation sanguine, par voie intraveineuse par exemple. C’est aussi possible par voie locale, via une injection au niveau d’une articulation, ou par stéréotaxie dans le cerveau. Cette technique est utilisée dans les cas de tumeur cérébrale. Car le cerveau est doté d’une barrière hémato-encéphalique qui l’isole de la circulation sanguine. Le médicament est injecté grâce à un guidage informatique qui dirige l’aiguille d’une seringue vers les cellules cancéreuses, sans toucher les zones fonctionnelles ayant trait aux facultés de penser ou de se mouvoir par exemple.
Les nanomédicaments offrent un second niveau de ciblage aussi bien utilisé en local que par voie générale. en greffant une molécule de reconnaissance appelée ligand, les nanomédicaments identifient la cellule cancéreuse au cœur de la tumeur, et délivrent le medicament transporté sur elle, sans toucher d’autres cellules qui doivent être conservées.
Le système lymphatique n’élimine-t-il pas les nanomédicaments ?
Dans les tumeurs, le système lymphatique est quasiment absent. Donc les nanomédicaments qui diffusent dans la tumeur, ne sont pas éliminés par drainage lymphatique et continuent à s’accumuler et à déverser leur contenu médicamenteux dans le tissue tumoral.
Existe-t-il des nanomédicaments disponibles ?
Oui, par exemple les liposomes de doxorubicine qui traitent le cancer du sein métastasé. Ce médicament fonctionne seulement par diffusion à travers les pores d'un néo-vaisseau. Le deuxième mécanisme de ciblage avec ligand n’est pas encore commercialisé.
Quel sera le premier type de nanomédicament élaboré au CHU d’Angers ?
Ils concerneront les domaines de la cancérologie et de l’infectiologie.
Nous travaillons en ce moment sur une molécule anticancéreuse déjà sur le marché : la paclitaxel. Nous souhaitons la transporter dans une nanocapsule, pour soigner le cancer du poumons.
Quand nous aurons fini les tests sur les animaux, la société de biotechnologie Carlina Technologies, spin-off de mon équipe, développera ce nanomédicament et fera produire des lots cliniques qui seront testés chez les patients, dans le cadre des premiers essais cliniques. Si les essais sont concluants, une firme pharmaceutique partenaire finalisera le développement du nanomédicament et le commercialisera en son nom.
Ces traitements pourront-ils suffire à soigner les cancers ?
Non, il s’agit d’une nouvelle forme de chimiothérapie plus efficace et présentant moins d’effets secondaires. En revanche, elle devra être accompagnée d’autres stratégies de traitement, telle que la chirurgie et/ou la vaccination anti-tumorale par exemple.
Extrait du Site : CareVox