expression de vie

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"La psychanalyse" de Chawki Azouri

 

En constatant la primauté d'un lieu autre et décentré, en énonçant que "le moi n'est pas le maître en sa demeure". La psychanalyse ne peut qu'être en antipathie avec la psychologie qui affirme, quant à elle, le primat de la conscience, et trouve, comme le dit Freud, que "la notion même d'un psychisme inconscient est contradictoire". Par la psychanalyse, la notion de "sujet pensant", propre à la philosophie, est radicalement subvertie. Cette subversion trouvera son aboutissement avec Lacan. Ce n'est plus le sujet de la conscience qui pense, mais ce sujet-là est pensé dans un autre lieu. Ce lieu est celui de l'autre, où le savoir inconscient est rejeté. Le sujet est défini par rapport à ce lieu autre, et Lacan parlera de sujet divisé incompatible avec le sujet de la philosophie classique.

 

Le jeu des chiffres chinois nous donne une bonne idée de l'illusion d'un centre, illusion dans laquelle la psychologie est enfermée. Comme les joueurs fascinés par les allumettes, le psychologue est pris dans une logique unifiante qui méconnaît la division du sujet et qui ne voit pas que ce qui ce dit à travers la forme que prennent les allumettes est pensé ailleurs, et cela sans aucun rapport de sens.

 

Le jeu des chiffres chinois.

 

Lorsque, loin du monde de la psychanalyse, des amis me demandent ce qui la distingue de la psychiatrie ou de la psychologie, il m'arrive très souvent de leur proposer un jeu.

 

Je commence par disposer 5 allumettes parallèlement, le bout souffré tourné vers moi. Après quelques secondes de réflexion, tout le monde trouve que c'est le chiffre 5. J'acquiesce. Le jeu leur parait facile : la direction des bouts souffrés doit déterminer la réponse. Le coup suivant, je change le sens d'une allumette en tournant le bout rouge vers eux. Le temps de réflexion est plus long. Quelques-uns répondent 4. Leur raisonnement est simple : les allumettes dirigées vers moi déterminent la réponse. Pour les autres c'est le chiffre 3. En soustrayant l'allumette tournée vers eux des quatre autres, ils trouvent logiquement le chiffre 3. Il s'agit bien du chiffre 3. La troisième figure dispose les allumettes dans le sens inverse de la précédente : quatre étant dirigées parallèlement vers eux et l'une vers moi. Après un long moment de réflexion, une certaines fébrilité agitent les participants. Est-ce le regroupement des allumettes en plus grand nombre qui détermine la solution, indépendamment du fait qu'elles sont tournées vers moi ou vers eux ? Autrement dit, les quatre allumettes dirigées vers eux représenterait le vecteur principal du fait de leur plus grand nombre, et celle dirigée vers moi doit être retirée ? Certains annoncent de nouveau le chiffre 3. Mon acquiescement leur procure un grand soulagement. La logique qui détermine le jeu semble claire. Au quatrième coup, je dispose les allumettes en cercle, toutes tournées dans le sens des aiguilles d'une montre. A l'unissons, les participants anoncent le chiffre 5. C'est exact. Je dispose alors deux allumettes en sens inverse, en laissant les trois autres en place. Tout le monde s'écrit : 1. Trois moins deux égalent un. Le jeu semble facile, et les participants me demandent en quoi il pouvait représenter la psychanalyse. S'agit-il tout banalement d'une logique de sens ? A partir de là les choses se compliquent. Personne ne trouve le chiffre que représente les cinq allumettes disposées en losange. personne non plus ne trouve la réponse lorsqu'elles sont disposées en forme de roue de bicyclette. Une certaine perplexité gagne l'atmosphère ambiante. Que devient cette logique du sens découverte par les joueurs et qui semble maintenant les abandonner ? Les coups se succèdent, la forme des allumettes s'embrouille progressivement, et plus rien n'est conforme aux raisonnements ni aux déductions qu'ils firent après les premiers coups. Je dispose encore une fois les allumettes en forme de cercle, dans le sens des aiguilles d'une montre. Comme le coup a déjà été joué, les joueurs annoncent avec soulagement le chiffre 5. Lorsque je leur répond qu'il s'agit du chiffre 2, la perplexité fait place au désarroi. Comment une même figure peut-elle représenter deux chiffres différents ? Cela leur parait totalement illogique. Certains abandonnent pendant que d'autres font appel une nouvelle fois à la raison. Après tout, les mots peuvent avoir différents sens, voire même, pour certains, des sens opposés. Alors pourquoi pas les chiffres chinois ? Pour d'autres enfin, c'est la suite de coups qui déterminent la solution, indépendamment de la forme particulière donnée chaque fois aux allumettes. Autrement dit, après le chiffre cinq, il s'agissait toujours du chiffre trois. Ou bien, après une suite de deux à trois chiffres, c'est la même réponse que j'annonce. Ce nouvel appel à la raison les rassurent, et ils me demandent de continuer le jeu. Les coups suivants ont un effet de désarroi total : aucune logique ne les aident plus à touver la solution. Un moment d'agitation gagne les participants qui ne tiennent plus en place. Certains se lèvent pour arrêter le jeu, d'autres changent de place. Brusquement, les yeux de l'un d'eux se mettent à briller. Il me regarde avec un air incrédule. Il n'ose même pas annoncer à haute voix qu'il a compris. Il fini par annoncer le bon chiffre et, à partir de là, il ne se trompe plus. Progressivement, chacun à son rythme, les joueurs sont saisis par la simplicité de la solution : pendant qu'ils avaient le regard fixé sur les allumettes, fascinés par les différentes formes qu'elles prenaient et sous la pression de la pensée logique, ils ne voyaient pas qu'à trente centimètres derrière, je leur indiquais, des doigts de ma main droite appuyée par terre, le chiffre qu'ils devaient deviner.

 

Ce qui est renversant c'est la simplicité de la solution. Elle est là pour qui veut la voir, mais personne ne la voit. Elle est simplement décentrée par rapport aux allumettes. Elle n'est pas là où les joueurs regardent. Elle est ailleurs, et cet ailleurs est proche. Il est à quelques centimètres et, pourtant, personne ne le voit. Tout le monde est occupé par une autre logique, celle du sens et du raisonnement.

 

En découvrant l'inconscient et en constatant la résistance dont sa découverte fait l'objet, Freud est amené, en 1917, à une déduction : si, avec Copernic et Darwing, l'humanité a subi deux blessures narcissiques, la troisième lui sera infligée par la psychanalyse.

 

Nous pouvons en effet constater que, dans les trois cas, il s'agit d'un décentrement insupportable à l'esprit humain. Copernic démontre que la terre est plus petite que le soleil, qu'elle tourne autour de lui et non l'inverse. Darwing propose une continuité phylogénétique qui fait du singe un ancêtre de l'homme. Freud enfin, découvre que la conscience n'est pas le lieu qui détermine et cause le comportement, la pensée et le langage humains. C'est l'inconscient qui est le véritable lieu de la pensée de l'homme. Cette troisième blessure narcissique va entraîner une série de ruptures avec les savoirs constitués.

 

En faisant un retour à Freud et en énonçant que le langage n'est pas fait pour communication, Lacan accentue cette blessure narcissique : "l'inconscient est structuré comme un langage", propose-t-il comme nouvel apport théorique. L'inconscient est dans les mots. Il n'est ni caché ni enfoui. "L'inconscient est sans profondeur", nous dit Lacan.

 

Comme dans le jeu des chiffres chinois, il est là pour qui veut le voir. Comme le soleil, on ne peut le regarder en face.



25/08/2011
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