expression de vie

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"Une saison chez Lacan" - "Le désir" de Pierre Rey

   

 1989                                       1999

 

Au fond de la cour, à droite, une porte à laquelle on accédait par quelques marches de pierre usées. J'étais déjà coupé de la rue, du bruit, du monde. Un petit escalier en spirale, un palier, deux paillassons, deux portes noires. Je sonnais à celle de gauche: c'était là. Lacan.

 

Un extrait :

 

"La culture c'est la mémoire de l'intelligence des autres. Hormis quelques appareils digestifs exceptionnels, elle ne produit que de la culture, un discours sur un discours, à l'infini, qui se déploie dans les limites sans surprise de la loi: la nier, la combattre ou la subir, dans tout les cas, c'est encore la reconnaître. La culture est continuité, la création, son contraire, est rupture."

 

Un autre :

 

"J'adorais la boxe. On croisait les gants avec qui le souhaitait, sans choisir ses partenaires. L'un d'eux me déplaisait particulièrement, ce qui était réciproque. Sa carrure gigantesque, ses cent trente-cinq kilos et sa force animale impressionnante l'avait fait surnommer "Le Gros". Je ne savais rien de lui, sinon qu'il était médecin. Avec un art fielleux, nous appuyions sournoisement nos coups pour nous descendre vraiment.

Quand l'un de nous était durement sonné, ce qui arriva à plusieurs reprises, l'autre se confondait en excuses hypocrites.

L'antipathie crée des liens. Bientôt, notre affrontement se transféra du ring au terrain dialectique. J'étais certain d'y prendre l'avantage .....

    ..... Un jour que je lui demandais quelle était sa spécialité en médecine, il me confia, comme à regret et avec beaucoup de chichis, qu'il était psychanalyste.

Il était perdu : j'allais pouvoir lui expliquer Freud !

J'avais découvert son existence à l'âge de douze ans en raflant dans la bibliothèque de mon père un "Grapouillot" d'avant-guerre consacré à la sexualité ....

.... La brèche était ouverte. Ma vie durant, j'allais élargir en dévorant Jung, Freud, Adler, Otto Rank, Ferenczi et les autres ....

.... Quelques brèves passes et le Gros comprenait que je n'en savais pas plus que les spécialistes de magazines, c'est-à-dire rien. Le point zéro. Il me fit la charité de n'en rien laisser paraître. Au lieu de m'écraser, il entreprit un premier décrassage d'urgence à touches légères, ouvrant un champ qui piquait mon intérêt ....

.... généreux surtout au point de ne jamais tenter de me convaincre - dans "convaincre" il y a "vaincre", mais il y a surtout "con".

Le con c'était moi.

Avec mauvaise foi, je m'accrochais pied à pied pour ne pas lui laisser démolir trop vite les valeurs du système qui, jusque-là, m'avaient servi de béquilles boiteuses. Il en prenait un sacré coup. Mon narcissisme aussi ....

 

.... j'entrevoyais avec effarement l'étendue de ce que j'ignorais ....

 

.... Terrifié à l'idée de mourir idiot, je décidais de mettre les bouchées doubles."

 

"Tout être humain pressent vaguement qu'un jour, peut-être (mais rien n'est moins sûr, les autres, oui, lui, pas), il devra disparaître.

 

Mais qui croit encore à sa propre mort ?"



26/05/2011
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