expression de vie

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"Le théâtre de la guérison" - "La tricherie sacrée" - "La danse de la réalité" - "La sagesse des blagues" d'Alexandro Jodorowsky

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"j'attendis jusqu'à quatre heures du matin, heure à laquelle les ronflements de mes géniteurs, aussi puissants que ceux des locomotives, envahissaient la maison. j'avançai sur la pointe des pieds, essayant de ne pas penser, de peur qu'un mot fasse vibrer mon esprit au-delà de mon crâne en provoquant des craquements dans les murs, dans le plancher et dans les meubles. La minute que je mis à ouvrir la porte de la chambre me parut durer une heure. Une obscurité rance m'imobilisa. Craignant de trébucher sur une chaussure ou sur le vase de nuit rempli d'urine que ma mère vidait chaque matin alors que Jaime et moi prenions notre petit déjeuner, je restais changé en statue jusqu'à ce que mes yeux s'habituent au noir. Je m'approchai doucement du lit, m'enhardis à allumer ma torche. Prenant garde à ce qu'aucun rayon n'éclairât leurs visages, je parcourus leurs corps. C'était l'époque la plus chaude de l'année. Elle comme lui dormaient nus. Enivrées par l'odeur pénétrante, quelques mouches bourdonnaient, butinant les poils de leurs aisselles. La peau blanche de ma mère gardait encore les traces rougeâtres du corset qui l'oprimait du matin au soir. Ses seins, deux énormes bananes, reposaient sereinement près de ses flancs. Elle dormait, déesse dodue de l'abondance, une menue main posée sur l'épais duvet pubien de mon père. Ma surprise fut si grande que ma langue gonflée se mit à battre comme si elle était devenue un coeur. J'eus envie de rire. Pas de joie, mais nerveusement. Ce que je voyais abattait d'un coup la tour mentale dans laquelle l'autorité de Jaime m'avait enfermé. La chaleur des doigts de Sara, si proche, provoquait une érection. Certes, le membre circoncis avait la forme d'un champignon, mais, incroyable !, il était beaucoup plus petit que le mien. Plus que d'un phallus, il avait l'air d'un petit doigts.

Je compris tout à coup le pourquoi de l'agressivité de Jaime, son vindicatif orgueil, son éternelle rancoeur vis-à-vis du monde. Il m'avait précipité dans la faiblesse, me construisant sournoisement un caractère de lâche, de victime impuissante pour se sentir puissant. Il se moquait de mon long nez parce qu'il se savait court à l'entrejambe. Il lui fallait se prouver sa puissance à lui-même en séduisant les clientes, en dominant mon énorme mère, en ensanglantant les voleurs. Sa forte volonté était devenue le complément de sa minuscule bitte. Le géant s'écroula. Et avec lui le monde entier. Aucun des sentiments qu'on m'avait inculqués n'étaient vrais. Tous les pouvoirs artificiels. Le grand théâtre du monde, une forme vide. Dieu était tombé de son trône. La seule vraie force sur laquelle je pouvais compter étais la mienne, toute petite. Je me sentis comme un être sans squelette auquel on aurait retiré ses béquilles. Mieux valait cependant une vérité infime qu'un énorme mensonge."

 

 

 

 



17/09/2011
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