Comment devenir humain ?
Comment devenir humain ?
Comment devenir humain ?
« Agis de telle sorte que tu traites l’humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre toujours en même temps comme une fin, et jamais simplement comme un moyen ».
Emmanuel Kant
La notion d’humanité est équivoque car elle peut se comprendre sur deux plans différents. Au sens commun du terme, l’humain est ce qu’il est et de ce point de vue la question du comment devenir humain est absurde à moins qu’on la traite sous l’angle scientifique de l’évolution… Dans la mesure où l’humain comprend aussi l’abject et le monstrueux, pour devenir humain il suffit de se laisser aller à ses penchants les plus immédiats. Mais l’humain peut aussi se comprendre comme un idéal d’humanité que l’homme se doit de viser afin de se rendre digne de respect. C’est en ce sens que Kant évoque la notion d’humanité et c’est aussi en ce sens que notre question devient tout à fait pertinente ! Que dit au juste Kant dans ce second énoncé de son impératif catégorique ? Il dit que l’acte moral authentiquement humain est un acte qui considère toujours l’autre aussi comme une fin et non seulement comme un moyen. On a souvent été injuste avec Kant en lui reprochant son rigorisme. Or, ici Kant reconnaît une certaine légitimité à l’amour de soi puisque son impératif tient compte de notre propre satisfaction. Pour Kant on devient humain en plaçant l’être humain au-dessus de toute autre contingence comme fin en soi. Du point de vue kantien ce qui est inhumain c’est l’exploitation de l’autre. En fait, la morale kantienne n’est jamais qu’une reprise plus fouillée de la morale évangélique résumée la parole du Christ : « Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’il te fasse. »
La question du « Comment devenir humain ? » suppose que l’être humain actuel n’est pas pleinement humain. Or, si le point de vue kantien sur ce qui caractérise l’humain est vrai, il est clair qu’il n’est pas facile d’être humain et encore moins dans une société fondée sur l’intérêt égoïste comme la notre. A mon sens le constat de Kant est vrai, mais ce dernier a estimé à tort ou a raison que la tâche de la philosophie n’était pas de proposer des solutions aux problèmes exposés. C’est plutôt du côté des philosophies pratiques de la Grèce Antique, de l’Inde et de la Chine que nous trouvons des voies de sagesse se proposant d’accéder à l’humanité authentique. Ainsi pour Platon ou Aristote, la vraie vie humaine consiste en la contemplation désintéressée. Pour parvenir à un tel idéal de vie le philosophe doit s’exercer à vaincre les désirs de son corps et de son ego, d’où le mot célèbre de Platon : « Philosopher c’est apprendre à mourir ». La voie de la sagesse indienne n’est pas très différente même si elle passe souvent beaucoup plus par l’exercice physique comme dans le Yoga. C’est en Extrême-Orient avec le Tao ou le Zen qu’une véritable voie alternative nous est proposée. Les sages du Tao et du Zen ont compris le paradoxe de la spiritualité traditionnelle qui convoque un ardent désir de ne plus désirer. Ces sagesses d’Extrême-Orient nous proposent une sorte de solution dialectique pour sortir du cercle vicieux, solution qu’on pourrait résumer ainsi : « Désir ne plus désirer ne plus désirer». On retrouve là quelque chose de l’idéal épicurien du Carpe diem, de la vie dans l’instant présent. Certains philosophes occidentaux du XX ème siècle sont assez proches de ce type de sagesse à l’image d’un Bergson ou d’un Heidegger. Si devenir humain consiste à apprendre à ne plus calculer et à vivre dans l’instant présent, on arrive pourtant à un nouveau paradoxe assez édifiant. Car une telle vie sans calcul et dans la spontanéité du ressenti n’est elle pas l’image que l’homme se fait de la vie animale ? Et devenir humain ne signifie t-il pas de redevenir animal, de retrouver l’innocence de la bête ? En fait, ce retour à l’animalité demeure humain dans le sens où l’homme a conscience de son animalité. Le fait est que l’humanité s’est fourvoyée en croyant qu’elle s’humaniserait d’autant plus en se séparant de son animalité. Or les horreurs de la technique à l’image d’Auschwitz et d’Hiroshima nous rappellent la justesse du mot de Pascal : « Qui fait l’Ange fait la Bête »…
Bibliographie : Emmanuel Kant, Critique de la raison pratique – Anthropologie du point de vue pragmatique - Peter Sloterdijk, Règles pour le parc humain
La question du « Comment devenir humain ? » suppose que l’être humain actuel n’est pas pleinement humain. Or, si le point de vue kantien sur ce qui caractérise l’humain est vrai, il est clair qu’il n’est pas facile d’être humain et encore moins dans une société fondée sur l’intérêt égoïste comme la notre. A mon sens le constat de Kant est vrai, mais ce dernier a estimé à tort ou a raison que la tâche de la philosophie n’était pas de proposer des solutions aux problèmes exposés. C’est plutôt du côté des philosophies pratiques de la Grèce Antique, de l’Inde et de la Chine que nous trouvons des voies de sagesse se proposant d’accéder à l’humanité authentique. Ainsi pour Platon ou Aristote, la vraie vie humaine consiste en la contemplation désintéressée. Pour parvenir à un tel idéal de vie le philosophe doit s’exercer à vaincre les désirs de son corps et de son ego, d’où le mot célèbre de Platon : « Philosopher c’est apprendre à mourir ». La voie de la sagesse indienne n’est pas très différente même si elle passe souvent beaucoup plus par l’exercice physique comme dans le Yoga. C’est en Extrême-Orient avec le Tao ou le Zen qu’une véritable voie alternative nous est proposée. Les sages du Tao et du Zen ont compris le paradoxe de la spiritualité traditionnelle qui convoque un ardent désir de ne plus désirer. Ces sagesses d’Extrême-Orient nous proposent une sorte de solution dialectique pour sortir du cercle vicieux, solution qu’on pourrait résumer ainsi : « Désir ne plus désirer ne plus désirer». On retrouve là quelque chose de l’idéal épicurien du Carpe diem, de la vie dans l’instant présent. Certains philosophes occidentaux du XX ème siècle sont assez proches de ce type de sagesse à l’image d’un Bergson ou d’un Heidegger. Si devenir humain consiste à apprendre à ne plus calculer et à vivre dans l’instant présent, on arrive pourtant à un nouveau paradoxe assez édifiant. Car une telle vie sans calcul et dans la spontanéité du ressenti n’est elle pas l’image que l’homme se fait de la vie animale ? Et devenir humain ne signifie t-il pas de redevenir animal, de retrouver l’innocence de la bête ? En fait, ce retour à l’animalité demeure humain dans le sens où l’homme a conscience de son animalité. Le fait est que l’humanité s’est fourvoyée en croyant qu’elle s’humaniserait d’autant plus en se séparant de son animalité. Or les horreurs de la technique à l’image d’Auschwitz et d’Hiroshima nous rappellent la justesse du mot de Pascal : « Qui fait l’Ange fait la Bête »…
Bibliographie : Emmanuel Kant, Critique de la raison pratique – Anthropologie du point de vue pragmatique - Peter Sloterdijk, Règles pour le parc humain
Jean-Luc Berlet
café-philo du 12 /09/ 07 au St René
« Il n’y a pas, concrètement, de la Matière et de l’Esprit : mais il existe seulement de la Matière devenant Esprit.» P. Teilhard De Chardin, L’Energie humaine
S’interroger sur la façon de devenir humain, c’est postuler que l’Homme ne naît pas humain. Etre humain ne se résume donc pas à une nature ou à une donnée biologique, mais à une appartenance à une communauté « spirituelle » qui est, au sens large, sensible à la pitié. Le problème demeure pour nous de savoir d’où nous vient le critère de l’humain… Car quelle que soit la définition que l’on en donne, « humain » se définit toujours par rapport à une espèce qui lui préexiste. La seule manière non tautologique d’approcher le critère de l’humain n’est-il pas de le concilier avec « l’inhumain » ? Le génocide du peuple juif par les nazis a bien eu lieu au sein d’une société dite civilisée, à la pointe du progrès technique, ultra moderne… Deviendrait-on humain en intégrant la part d’inhumain en nous ?
Devenir humain ne saurait être, pour commencer, un impératif imposé de l’extérieur, telle une colonisation ou l’imposition d’un modèle culturel dans une société donnée. Il ne peut y avoir humanisation que de son plein gré. Or, des historiens, après avoir réfléchi sur le phénomène de la Shoah, se sont rendus compte (comme Georges Bensoussan par exemple, dans Auschwitz en héritage ? D’un bon usage de la mémoire), que l’on ne peut devenir humain que si l’on cesse de diaboliser et de moraliser l’inhumain. Loin d’excuser et de justifier la Shoah, l’historien nous invite à critiquer d’un point de vue politique et psychologique les passions que l’humanité a éprouvées après la Seconde Guerre Mondiale : la moralisation de la barbarie la tient à distance de nous, plus incomprise que jamais, donc susceptible de sévir à nouveau. Sa diabolisation nous conforte dans l’illusion que l’inhumain – la barbarie, l’indifférence, l’irrespect de tous envers tout – nous est totalement, personnellement étranger. Admettre que l’inhumain fait partie de l’humanité, nous dit Bensoussan, c’est se donner les moyens de combattre le mal, non pas radical mais inconscient qui gît en l’Homme. C’est se reconnaître responsable de ses actes, même si l’on a agi sous l’ordre d’une instance supérieure ; c’est avoir le courage de ne pas se dissocier de ses actes : faire un avec ses actes.
Une coïncidence veut que 2 fassent un, et qu’un fasse 2, est une des paraboles du Christ, qui pourrait bien exprimer le chemin intérieur que tout Homme soucieux de devenir humain doit réaliser : « Malheur à vous, (…) qui purifiez l’extérieur de la coupe et de l’écuelle, quand l’intérieur en est rempli par rapine et intempérance ! (…) purifie d’abord l’intérieur de la coupe et de l’écuelle, afin que l’extérieur aussi devienne pur » (Evangile selon st Matthieu). La pureté retrouvée renvoie ici à la coïncidence entre l’extérieur et l’intérieur, aux antipodes de l’hypocrisie donc, ou de la méconnaissance de soi. Se connaître soi-même, réconcilier l’intérieur et l’extérieur, c’est (re)devenir humain. Nous avons une non-duplicité à réaliser entre l’Etre et l’apparence, le masculin et le féminin, le corps et l’esprit, la Lumière et les Ténèbres. Nous possédons un espace intérieur invisible, que nous ne percevons pas vraiment, voire pas du tout (l’intérieur de la coupe), qui est le même qui contient l’Univers. Ce qui revient à dire que chacun de nous sommes à notre insu un résumé de l’Univers, un microcosme en quelque sorte. Devenir humain, selon une vision gnostique des propos de Jésus, revient à se rapprocher de l’Homme originel que nous aurions dû être si la Chute n’avait pas eu lieu : conscient d’une capacité à se dépasser, à guérir lui-même de ses propres entraves ou blessures. Une capacité à ressusciter intérieurement, ici-bas. Devenir soi-même, ne serait-ce pas la signification de devenir humain ? Car s’il est vrai que le Royaume des Cieux est décrit dans les Evangiles comme le levain qu’une femme a caché dans de la pâte (Mt 13,33 ; Lc 13, 20-21), alors il s’agit de faire lever « la pâte humaine » dans sa triple dimension : somatique, psychique et spirituelle. Soit le cœur, le corps et l’esprit, traversés par une réceptivité à l’amour, à la disponibilité, une forme de gratuité. Si humanité de l’Homme il y a, c’est celle d’une transformation du cœur, accepté l’existence de quelque chose d’incréé en nous (et pas simplement au-dessus de nous, dans le Ciel). Etre dans le monde, mais non de ce monde, acquérir une certaine légèreté, une liberté intérieure inaliénable.
Voulons-nous vraiment devenir humains, à présent ? Sommes-nous prêts à en payer le prix en renonçant à nos acquis matérialistes demeure la vraie question. Car s’il est un propre de l’être humain, d’accord avec ces propos, c’est bien de redouter par-dessus tout la révolution spirituelle, intérieure, qu’exige le devenir humain… : « Après l’avoir entendu, beaucoup de ses disciples dirent : ‘Ce langage-là est trop fort ! Qui peut l’écouter ?’ » (Jn, 6, 60).
café-philo du 12 /09/ 07 au St René
Comment devenir humain ?
S’interroger sur la façon de devenir humain, c’est postuler que l’Homme ne naît pas humain. Etre humain ne se résume donc pas à une nature ou à une donnée biologique, mais à une appartenance à une communauté « spirituelle » qui est, au sens large, sensible à la pitié. Le problème demeure pour nous de savoir d’où nous vient le critère de l’humain… Car quelle que soit la définition que l’on en donne, « humain » se définit toujours par rapport à une espèce qui lui préexiste. La seule manière non tautologique d’approcher le critère de l’humain n’est-il pas de le concilier avec « l’inhumain » ? Le génocide du peuple juif par les nazis a bien eu lieu au sein d’une société dite civilisée, à la pointe du progrès technique, ultra moderne… Deviendrait-on humain en intégrant la part d’inhumain en nous ?
Devenir humain ne saurait être, pour commencer, un impératif imposé de l’extérieur, telle une colonisation ou l’imposition d’un modèle culturel dans une société donnée. Il ne peut y avoir humanisation que de son plein gré. Or, des historiens, après avoir réfléchi sur le phénomène de la Shoah, se sont rendus compte (comme Georges Bensoussan par exemple, dans Auschwitz en héritage ? D’un bon usage de la mémoire), que l’on ne peut devenir humain que si l’on cesse de diaboliser et de moraliser l’inhumain. Loin d’excuser et de justifier la Shoah, l’historien nous invite à critiquer d’un point de vue politique et psychologique les passions que l’humanité a éprouvées après la Seconde Guerre Mondiale : la moralisation de la barbarie la tient à distance de nous, plus incomprise que jamais, donc susceptible de sévir à nouveau. Sa diabolisation nous conforte dans l’illusion que l’inhumain – la barbarie, l’indifférence, l’irrespect de tous envers tout – nous est totalement, personnellement étranger. Admettre que l’inhumain fait partie de l’humanité, nous dit Bensoussan, c’est se donner les moyens de combattre le mal, non pas radical mais inconscient qui gît en l’Homme. C’est se reconnaître responsable de ses actes, même si l’on a agi sous l’ordre d’une instance supérieure ; c’est avoir le courage de ne pas se dissocier de ses actes : faire un avec ses actes.
Une coïncidence veut que 2 fassent un, et qu’un fasse 2, est une des paraboles du Christ, qui pourrait bien exprimer le chemin intérieur que tout Homme soucieux de devenir humain doit réaliser : « Malheur à vous, (…) qui purifiez l’extérieur de la coupe et de l’écuelle, quand l’intérieur en est rempli par rapine et intempérance ! (…) purifie d’abord l’intérieur de la coupe et de l’écuelle, afin que l’extérieur aussi devienne pur » (Evangile selon st Matthieu). La pureté retrouvée renvoie ici à la coïncidence entre l’extérieur et l’intérieur, aux antipodes de l’hypocrisie donc, ou de la méconnaissance de soi. Se connaître soi-même, réconcilier l’intérieur et l’extérieur, c’est (re)devenir humain. Nous avons une non-duplicité à réaliser entre l’Etre et l’apparence, le masculin et le féminin, le corps et l’esprit, la Lumière et les Ténèbres. Nous possédons un espace intérieur invisible, que nous ne percevons pas vraiment, voire pas du tout (l’intérieur de la coupe), qui est le même qui contient l’Univers. Ce qui revient à dire que chacun de nous sommes à notre insu un résumé de l’Univers, un microcosme en quelque sorte. Devenir humain, selon une vision gnostique des propos de Jésus, revient à se rapprocher de l’Homme originel que nous aurions dû être si la Chute n’avait pas eu lieu : conscient d’une capacité à se dépasser, à guérir lui-même de ses propres entraves ou blessures. Une capacité à ressusciter intérieurement, ici-bas. Devenir soi-même, ne serait-ce pas la signification de devenir humain ? Car s’il est vrai que le Royaume des Cieux est décrit dans les Evangiles comme le levain qu’une femme a caché dans de la pâte (Mt 13,33 ; Lc 13, 20-21), alors il s’agit de faire lever « la pâte humaine » dans sa triple dimension : somatique, psychique et spirituelle. Soit le cœur, le corps et l’esprit, traversés par une réceptivité à l’amour, à la disponibilité, une forme de gratuité. Si humanité de l’Homme il y a, c’est celle d’une transformation du cœur, accepté l’existence de quelque chose d’incréé en nous (et pas simplement au-dessus de nous, dans le Ciel). Etre dans le monde, mais non de ce monde, acquérir une certaine légèreté, une liberté intérieure inaliénable.
Voulons-nous vraiment devenir humains, à présent ? Sommes-nous prêts à en payer le prix en renonçant à nos acquis matérialistes demeure la vraie question. Car s’il est un propre de l’être humain, d’accord avec ces propos, c’est bien de redouter par-dessus tout la révolution spirituelle, intérieure, qu’exige le devenir humain… : « Après l’avoir entendu, beaucoup de ses disciples dirent : ‘Ce langage-là est trop fort ! Qui peut l’écouter ?’ » (Jn, 6, 60).
Sabine Le Blanc
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